Rien n’existe hormis ce que j’invente.
Tout est neuf avec chaque matin,
Et si parfois je m’épouvante
D’être là, cloîtré dans ma chair,
C’est que se donne à moi quelque nouvelle sente
Où peut-être naîtra l’éclair...
Il me faut tout apprendre
Et je n’ai plus de mains
Pour saisir le bonheur,
Le feu, la peur, la faim ;
Il me faut tout écrire
Et je n’ai pas de mots
Pour cerner la détresse
Et renier la joie.
Mais je rebâtirai l’univers disparu
Avec le vieux langage des lèpres,
Je sonnerai la solitude au clocher des syllabes,
Car le verbe condamne celui qui ne joue pas
Aux infinies tortures des chambres meurtrières.
Rien n’existe et pas même toi,
O flamme de la femme et ta soif d’exil !
Je t’aime comme on aime un familier fantôme
Qui chaque nuit revient errer dans la mémoire
Mais qui, tout comme lui, s’évanouit à l’aube
Laissant sur les parois du cœur des signes noirs.
Mot à mot, pied à pied, je défends l’innocence
De ce royaume sans roi dont je suis le passant.
Les grands poumons de la sève m’emportent
Et je ruisselle, rapace cloué à la porte de l’arche
Où se repose un blé porteur de l’avenir,
Triomphante clameur de l’horizon nouveau.
Marc Alyn, « Tout apprendre », Le temps des autres, Paris, Seghers, 1956.